Les faiblesses du Six Sigma – épisode #2
La bonne réponse à la question posée dans mon antépénultième post est B. Mais si le calcul avait été effectué en integrant le 1,5 sigma de la marge de sécurité suggerée par Motorola il aurait fallut initialement avoir 0.00098 DPMO (Defects Per Million Opportunities) sur l’echantillon de depart et non 3,4 DPMO . Cela veut dire que le niveau de six sigma “officiel” au depart aurait éte de 7.5 sigma.
En réalité, quand les ingénieurs de Motorola ont « inventé » le Six Sigma en 1981, ils ont estimé qu’il fallait prendre une marge de sécurité de 1,5 sigma pour anticiper toutes les possibles déviations sur le long terme. « Alors pourquoi 1,5 sigma et pas 1 ; 1,2 ; 1,6 ; 2 ; 2,5 ou autre ? », me demanderiez-vous ? La réalité est que personne ne sait l’expliquer de manière absolument logique et inattaquable. Il s’agit de résultats empiriques issus des expérimentations de Motorola. Je n’essaie pas de faire du « purisme » ici, je suis ingénieur de formation ; je sais donc que ce genre d’approche du type « recette de cuisine » est courant dans l’industrie et cela ne me pose pas de problème. Alors supposons que Motorola ait identifié cette valeur (1,5 sigma) comme étant bonne pour eux. Est-ce que ce qui est bon chez Motorola l’est également ailleurs ? Avant même de discuter encore plus du fameux « long term shift » de 1,5, qu’en est-il du 6 sigma lui-même ? Pourquoi 6 pourquoi pas 5 ? Et, est-ce que ce nombre de défauts acceptables pour un stylo l’est également pour la sécurité par exemple (cf. mon post sur l’accident dans le métro de Paris) ? En d’autres termes, ne serait-il pas raisonnable d’exiger 6, 7 voire 8 sigma, voire plus, pour la sécurité et se contenter de 3, 4 pour des stylos ? En tant que fournisseur de stylos ne serait-ce pas de la surqualite (l’un des 7 gaspillages de Toyota) que de livrer de produits 6 sigma ? Autre question classique si l’on veut parler des défauts : Comment les compte-t-on ? Dois-je compter une petite aspérité sur le capuchon d’un stylo comme un défaut ou pas ? Même si ce stylo fonctionne bien ? Alors je vois d’ici les praticiens du six sigma rentrer en furie et m’expliquer ce qui est important ici est la méthodologie utilisée : DMAIC. Parlons de la méthodologie phare (far ?) du Six Sigma : DMAIC (Define, Measure Analyze Improve and Control). Il s’agit simplement d’une reformulation du PDCA (Plan Do Check and Act) de Deming. De manière générale le Six Sigma s’est largement inspiré de méthodologies du type Quality Control, TQM et Zero Defects, … issues d’illustres statisticiens et scientifiques tels que Juran, Deming et autres. « Mais le plus important est que cela marche », me diraient les chantres du Six sigma. Si j’étais cynique, je répondrais alors que toutes les méthodes marchent voir mon post sur le « The Hawthorne effect ». : “Toutes les méthodes marchent…”. Alors, le Six sigma est-il bon pour la poubelle ? Ma réponse est NON. Ce que j’aime bien dans le Six sigma c’est la focalisation sur la variation qui pour moi est l’un des « concepts » les plus importants dans le monde du manufacturing. Ce que j’aime bien dans le Six sigma c’est qu’il insiste sur la décision basée sur les données réelles par des sentiments (quoique quelquefois certains jeune praticiens se laissent distraire par cela et oublient la finalité même). L’ironie dans tout cela est que le Six sigma s’est largement inspiré de Deming (PDCA, statistique des variations,…) mais en a fait un outil qui sur plusieurs points est contradictoire aux principes de management de Deming. Par exemple : le six sigma focalise plus sur les chiffres moins sur le process. Voir ce qu’en pense Deming dans ce post : Le management par les chiffres. Ne représente-t-on pas le process par une boîte noire dans laquelle rentrent des X et ou en ressortent des Y ? Autre exemple : l’extrême focalisation sur le retour financier, fut-il à court terme. Cela s’oppose à certains principes de management de Deming : voir Les 14 principes de management de Deming : deux sites de « référence » prennent quelques libertés sur leur traduction.). En somme, Motorola a récupéré tous les outils de Deming, le statisticien, et oublié les principes de management de Deming, l’expert du management. Sur ce point je trouve que les japonais (Toyota) on eu un approche plus équilibrée. Dernier élément au dossier : Jack Welch, le grand champion du Six Sigma. Un rapide résumé de sa bibliographie et de son style de management est disponible ici. Je ne suis pas certain que l’expert du management Deming lui aurait donné les plus hautes appréciations.
Dans la série des réserves que l’on peut avoir sur le Six sigma, je vous passe le questionnement sur la nature gaussienne présupposée des variations qui est la fondation même du six sigma. En clair : toutes les variations ont-elles une distribution gaussienne ? J’ai analysé des nombreuses données de pannes. Je peux affirmer que leur distribution est plutôt exponentielle et certainement pas gaussienne.
Pour finir sachez que le six sigma est un excellent outil mais qu’il existe beaucoup d’autres outils qui peuvent être plus efficaces et rentables pour votre business (voir mon post : Le terme « Lean Six Sigma » est-il un oxymore?).
En conclusion, Six Sigma, Lean, Lean Six Sigma, TOC et autres ne sont que des méthodologies à appliquer en connaissance de leurs faiblesses et sans dogmatisme. Le dogmatisme est « péché » si tentant…. En ce qui me concerne, j’essaie de les utiliser comme un chercheur (scientist en Anglais) le ferait tout en cherchant en apprendre le plus en appuyant sur une démarche du type PDCA…